Mardi 13 avril 2021
Un texte d’Annabelle St-Pierre, chercheuse chez Innofibre
L’industrie du bois d’œuvre occupe une place d’importance dans l’économie du Québec. Dans la province, la production de ce bois génère près de 2 millions de tonnes sèches d’écorce résiduelle chaque année. Ce coproduit sous-exploité est acheminé principalement vers l’enfouissement ou vers les usines de cogénération pour en faire de l’énergie, mais pouvons-nous le valoriser autrement?
L’écorce pour se protéger
Il faut savoir que les écorces sont pour les arbres ce que la peau est pour les humains : une barrière de protection contre les envahisseurs et l’environnement. Pour cette raison, l’écorce est la partie de l’arbre où l’on retrouve une grande quantité de métabolites spécialisés dont certains ont une activité biologique et assurent une protection contre les pathogènes, les insectes, le rayonnement du soleil, etc. La nature et l’abondance de ces composés sont variables en fonction de l’espèce, de l’âge ou encore du milieu où se trouve l’arbre. Bien que la composition de ces écorces demeure complexe, il est évident que cette biomasse est intéressante pour les molécules qu’elle contient.
Des molécules naturelles au large potentiel
L’équipe d’Innofibre travaille depuis plusieurs années sur la valorisation des écorces résiduelles afin de développer différents ingrédients concentrés en molécules actives. Ces ingrédients peuvent être intéressants pour le domaine sanitaire, thérapeutique, alimentaire, cosmétique et plus encore. Dans un premier temps, il faut souligner qu’il existe plusieurs marchés potentiels pour les composés antimicrobiens, comme les produits d’assainissement et les désinfectants de surface, les produits aseptisant et savons à main ainsi que les agents de conservation pour l’alimentation ou encore pour les produits cosmétiques et de soins corporels. Les agents antimicrobiens sont également sollicités dans les emballages pour prolonger la durée de vie des produits. Les produits antimicrobiens sont aussi utilisés dans les cultures pour protéger les plants contre les maladies et les molécules des écorces apporteraient une solution naturelle pour remplacer les pesticides chimiques de synthèse. Dans un deuxième temps, les extraits d’écorces avec une activité antioxydante sont très sollicités comme additifs alimentaires pour la santé humaine et animale ou encore comme ingrédients actifs dans les cosmétiques pour protéger la peau.
Cependant, pour isoler les molécules actives des résidus d’écorces, une étape d’extraction doit être réalisée et Innofibre a développé plusieurs méthodes d’extraction. Celles-ci permettent d’obtenir différents mélanges de métabolites spécialisés qui composent un extrait, et ce, pour plusieurs espèces comme l’épinette noire, le peuplier faux-tremble, le bouleau, etc. L’étude de l’activité antimicrobienne de divers extraits produits en laboratoire a permis de faire une découverte intéressante : certains contiennent des molécules qui limitent la prolifération de microorganismes pathogènes. À titre d’exemple, les travaux ont démontré que des extraits étaient efficaces contre les bactéries E. coli et S. aureus, la moisissure A. Niger ou même contre des champignons phytopathogènes comme Fusarium spp. Aussi, des travaux sur l’activité antioxydante de ces extraits ont montré que certains contenaient des molécules actives contre les radicaux libres. Selon les résultats des travaux de caractérisation chimique, les propriétés antimicrobienne et antioxydante semblaient être en corrélation avec l’abondance de molécules de la famille des composés phénoliques et plus précisément, des flavonoïdes et des proanthocyanidins.
Des travaux plus récents réalisés par Innofibre ont permis de développer une méthode d’extraction permettant de concentrer les proanthocyanidins dans les extraits d’écorce d’épinette noire. L’efficacité de cet extrait permet même d’atteindre les normes de Santé Canada en matière de désinfectants de surface! Des travaux de caractérisation chimique, qui ont été réalisés en collaboration avec des centres de recherche spécialisés dans ce domaine, ont permis d’identifier les composés susceptibles d’être à l’origine de l’activité biologique. Des essais sur ces molécules isolées ont montré qu’elles étaient toutes antimicrobiennes, mais pas autant que l’extrait lui-même. Il existe donc un effet synergique entre les composés de l’extrait. Des travaux sont encore en cours afin de démystifier les interactions positives entre les molécules de ce mélange complexe!
Quand l’équipement et l’expertise se rencontrent
Puisqu’Innofibre possède une importante expertise sur la valorisation de la biomasse et, plus spécifiquement la matière lignocellulosique, le Centre possède plusieurs équipements qui ont permis d’aller plus loin et de faire des essais de conditionnement et d’extraction des écorces à l’échelle pilote. Il a été possible de développer une méthode de tamisage et de broyage permettant d’assurer la qualité de la matière première utilisée pour l’extraction. L’utilisation de lessiveurs papetiers a permis de développer une méthode d’extraction subcritique efficace, où l’augmentation de la température et de la pression accroit les rendements d’extraction tout en revalorisant un équipement disponible dans l’industrie papetière. Grâce à la construction de la salle antidéflagration et l’installation d’un nouveau réacteur haute pression de 100L chez Innofibre, il sera désormais possible d’effectuer des extractions de plus gros volume et avec une plus large variété de solvants.
Les résultats des différents travaux réalisés viennent appuyer l’intérêt d’exploiter les écorces pour le développement de produits à valeur ajoutée et les voies de valorisation des écorces des essences forestières au Québec sont multiples. L’équipe d’Innofibre poursuivra le développement de cette filière en restant attentive aux besoins des entreprises, aux tendances actuelles des marchés et aux nouveaux produits naturels émergents.
Extrait d’écorce d’épinette noire